Pablo Picasso, L’Homme au mouton
Réalisé dans l’émotion ressentie par Picasso après la visite de l’exposition Arno Breker, organisée à Paris par le gouvernement de Vichy en 1942, L’Homme au mouton apparaît comme une rupture presque classique après les recherches plus abstraites menées par l’artiste dans les années 30 à Boisgeloup. Le contexte de l’occupation à laquelle Picasso résiste dans la solitude de son atelier explique assurément la conception de cette œuvre emblématique, conçue comme un monument destiné à l’espace public, promise à témoigner d’un engagement solide et fondamental.
Autour de l’œuvre elle-même et de ses sources, cette exposition, réalisée en partenariat avec le Musée national Picasso-Paris, évoque les circonstances historiques et personnelles de la création de ce monument pacifiste. Picasso : L’Homme au mouton propose donc une lecture contextualisée d’une œuvre emblématique de l’histoire de la sculpture moderne. Ce parcours repose sur des prêts généreux consentis par des institutions (Musée Picasso, Paris – Musée Rodin – Musée National d’Art Moderne, Paris – Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis -Museu Picasso, Barcelone) et des collections privées françaises et internationales.
L’exposition ouvre un regard sur la sculpture de Picasso depuis les bois taillés dans les souvenirs des travaux de bergers, découverts à Gosol en 1906. Une séquence évoque ensuite, autour du Serf de Matisse, du Saint Jean-Baptiste et du Balzac de Rodin, l’importance de ces figures de la modernité dans l’élaboration du modèle même de L’Homme au mouton.
Un berger de crèche du XVIIIe siècle exprime également la place des figures d’art populaire dans la construction du personnage de L’Homme au mouton. Par ailleurs, l’importance de la sculpture dans l’itinéraire de Picasso est illustrée par la célèbre toile Le Sculpteur (1931) à laquelle est confrontée la Tête de l’homme au nez cassé de Rodin qui présente de fortes similitudes avec le portrait archétypal du sculpteur chez Picasso, depuis la Suite Vollard jusqu’aux œuvres ultimes.
Une série de photographies évoque ensuite l’exposition Arno Breker, organisée par Vichy et l’occupant allemand, à Paris, au printemps 1942. On sait que Picasso a visité cette rétrospective qui fut l’un des événements les plus importants de la collaboration artistique durant l’occupation. C’est précisément dans l’immédiate émotion de cette visite que l’artiste semble s’être engagé dans la réalisation de sa sculpture, comme pour exorciser l’appropriation de l’idéal classique par la statuaire de propagande totalitaire. Par là même, Picasso répond – avec une œuvre qui s’affirme à pied d’égalité avec les formats monumentaux de Breker – aux critiques qui s’expriment dans la presse collaborationniste de l’époque sur son rôle dans l’avènement d’un art moderne de rupture et de référence. Une suite de photographies de Pierre Jahan évoque un autre élément de contexte, la destruction massive de la statuaire de monument public, en 1942-1943 notamment, pour livrer le métal à l’occupant allemand. À côté de cette série, une toile essentielle de cette période, L’Aubade (1943) insiste, avec la grille cubiste et la position allongée du personnage féminin central, sur cette question des sculptures abattues auxquelles répond précisément la figure très verticale de L’Homme au mouton.
Une séquence plus littérale regroupe un riche ensemble de dessins préparatoires à la conception même de l’œuvre qui occupe Picasso pendant plusieurs mois.
La dernière section de l’exposition lie L’Homme au mouton à l’installation de Picasso à Vallauris. En 1950, la sculpture est implantée sur la place du marché de la cité potière communiste, comme un véritable monument public dédié à la paix quand se profile le drame de la guerre de Corée. Cette période de paradoxes est évoquée par une grande toile, Les Jeux (1950), illustrant le bonheur familial de Picasso dans le Sud.La conclusion met en scène des retours fréquents du motif de L’Homme au mouton, tant en art graphique qu’en volume, jusqu’à une ultime version en tôle pliée et découpée de 1961. Cette exposition inédite s’inscrit évidemment dans la réflexion que mène le musée de Roubaix sur les questions de la sculpture contemporaine.
L’histoire d’une œuvre emblématique comme L’Homme au mouton ouvre de riches perspectives à la fois esthétiques et historiques qui expriment parfaitement l’ambition du propos de La Piscine, engagée dans une nouvelle lecture de l’histoire de l’art moderne.
Commissariat Bruno Gaudichon
Scénographie Cédric Guerlus/ Going Design
Catalogue publié à l’occasion de l’exposition aux éditions Snoeck.
Cette exposition a reçu le soutien important de la Région Hauts-de-France, de la Métropole Européenne de Lille et un mécénat exceptionnel du CIC Nord-Ouest, fidèle partenaire du musée La Piscine. La scénographie est réalisée grâce au généreux concours des peintures Flamant distribuées par Tollens.
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